Les aventures de Milo
Il avait en poche quelques euros, pas grand-chose, de quoi prendre un café. Il voulait voir les gens d’une terrasse chauffée. Il s’asseyait et sorti de sa sacoche des feuilles et du papier. Avant qu’il n’ait eut même l’idée d’un ressac intérieur pareil à la marée qui monte le serveur se plia devant lui et lui demanda aimablement ce qu’il désirait manger. Sans réfléchir il commanda une bavette sauce au poivre, petit goût pour la viande qu’il se refusait la plupart du temps faute de moyen. Mais ici, à ce café à côté sur le canal de l’Ourcq l’envie lui pris de dépasser son budget journalier, il devrait donc au moment venu sortir sa maudite carte bleue dont il avait peur, soiffe inutile de l’acharnement de la banque à le laisser dépasser son découvert déjà bien d’un millier d’euros négatif. Il vit passer des jeunes racailles qui ne devaient pas avoir plus de 16 ans, ils étaient noirs et métisses. L’évidement de la source de l’écriture avant que le plat arrive faisait jour. On écrit quoi sur les racailles ? Qu’elles sont bêtes en meute ? Qu’elles sont pauvres ? Qu’est-ce qu’on en a à foutre. Le plat arriva et il commençait à manger. Lorsque l’ultime morceau de chair fut avalé il déplaça consciencieusement le plat et replaça son carnet devant lui. L’effort devait avoir lieu. Il commença par les mots, je les note tels qu’elles : « Jeu pris dans les rets de l’habitat, ultime opprobre, finalement les pigeons veillent sur les arbres et la marée chaussée ». Ce fût tout. Il commanda un café noisette le but et s’en alla plus proche du quai.
Des mendiants, des guitaristes, de la bière et plein d’autres petits détails pépillaient à ses yeux affamés. Il se savait pas peintre mais écrivain. Et l’écrivain comme le peintre décore le réel avec le réel qu’il a sous les yeux ou à la limite derrière les yeux. Il s’assit jambes ballantes au-dessus du cours du canal et commença à rêver d’un jour plus noir, avec plus de nuages car il aurait ainsi la légitimité son retour chez lui à boire du vin et regarder Netflix. L’écriture était diaphane, insaisissable. À ce moment précis de la journée il avait perdu le don d’écrire. Mais le soleil crépitait et son angoisse montait. Il se déclarait vaincu mais il s’était promis une semaine sans vin. Il persista quelques instants puis découvrant qu’il n’y avait que du bruit et de la fureur dehors et dedans il s’en alla à l’inverse du courant vers Richard-Lenoir. Il ne voulait pas d’une journée telle qu’il l’avait passé hier à boire.
Il acheta un paquet de Marlboro de 30 cigarettes pour ne pas avoir à retirer et fuma pour compenser le manque de quelque chose dont il n’avait l’idée bien nette. Écrire peut-être, ou pas. Boire, ou bien faire l’amour. Stéphanie avait de gros seins et en fumant sa cigarette, pensif, marchant à pas lourds de sens il se rappela la première fois qu’ils s’étaient embrassés. C’était chez Castel, oui voilà, chez Castel. Une boîte vers Pigalle, il n’était pas aussi gros que maintenant, il avait paradé autour d’elle comme un paon en gigotant ses jambes et ses bras lui avait tendu la main pour commencer un trio avec les basses à deux mettre d’eux installés à deux mètres du sol de chez Castel. Milo dansait bien, enfin du moins il le croyait. On croit toujours qu’on danse bien lorsqu’on a bu. Il lui offrit un mojito, ils allèrent au fumoir et parlèrent pendant une vingtaine de minutes. Milo sortit son appareil photo argentique et photographia. Elle fut surprise et l’embrassa sur la joue, cette grande blonde aux lèvres étincelantes, la peau mate et le regard d’un noir profond, puis sur les lèvres.
Il arrivait à la Bastille et avait envie d’acheter un roman contemporain, il connaissait une librairie sur le Faubourg-Saint Antoine, une chaîne qu’il méprisait au profit des librairies comme Tschann à Montparnasse, indépendante et dont le rayon de poésie était sérieux et d’avant garde. Qu’importe, il y alla et ce trouva devant l’étalage des sorties de la rentrée. Il y avait pêle-mêle Beigbedder, Pennac, De Vigan, Carrère et d’autres dont il ne connaissait l’existence. Son regard s’attarda sur un livre enrubanné d’une petite étiquette où il était écrit « L’acuité du regard de Bertrand Stirner sur la société post-moderne rappelle, moyennant de nouvelles idéologies venant des pays anglo-saxons, la loufoquerie et le rêve de Mai 68 quant au Désir et son intervention dans la société de consommation ». Milo s’empara du livre, le retourna et sans même lire le commentaire de l’éditeur cacha le livre sous son bras, avança vers le rayon qui était à gauche, jeta un coup d’œil à droite et à gauche et l’enfourna dans son sac. Il fit mine de s’intéresser au rayon poésie (qui était pauvre) puis en s’engageant vers la sortie entendit le douloureux bruit du bip des deux panneaux qui ornaient l’entrée et la sortie. La caissière le fixa des yeux et lui demanda d’ouvrir son sac, il remettait le livre entre les mains de la vendeuse qui avait visiblement l’habitude de ce genre de situation et demanda à payer après s’être excusé platement ; il avait le cœur qui battait vite. Encore une fois il avait foiré. Le foirage chez Milo était consubstantiel à un mélange de malchance perpétuelle et d’inaction à retourner le jeu des relations sociales ou commerciales à son profit.