Réfléchi sur la main tendue Bukowski / Houellebecq
Et si, la phrase de Bukowski et de Houellebecq serait prise par eux comme un corps en tant que ce sont des pervers notoires ? Étrange phénomène qui expliquerait l’empirie, la réalité, le fait matériel de leur fond névrosé. Leur facilité d’écriture et leur génie.
La poésie de Bukowski est immédiate. Elle ne passe pas par la dénotation ou la métonymie, car elle est directement innervée dans le cerveau du lecteur sans médiation possible. Il narre des épisodes de son existence (triste existence) avec drôlerie et se contente d’assimiler les signifiants au signifiés linéairement ; bien sûr il peut y avoir de la contingence et le texte peut vibrer sur la corde d’un piano mal fagoté. Mais il reste que son texte est plaisir, non jouissance car ostracisé par l’auteur même dans un rôle de bouffon à qui il arrive d’être aimé ou d’aimer (deux charnières fondamentales dans l’écriture, dans la production d’un texte) et d’utiliser toujours le bord, dans la distribution de la langue, sage et canonique. Rien à voir avec un Celan ou un Lautréamont qui n’en finissent pas (s’épuisent-ils ?) d’actionner l’effet de violence de la création lexicale, et syntaxique pour arriver à s’accepter comme Sujet du Sens et Exception. Non, pour Bukowski tout se passe dans la sortie de la poésie, la sortie du texte, par l’inerte, le confondant banal. (Exception faite de la finesse tactique du ou des derniers vers des poèmes qu’il maîtrise superbement : on est toujours troublé par une énigme à la fin d’un poème de Bukowski : elle est plate ou en volume, cela dépend du texte).
Bukowski ne retourne pas sur lui-même le langage ; il lui sert juste à exprimer une intuition, une mise à nue d’une idée qui s’élabore (il était tout le temps ivre, je me demande bien ce qu’il aurait écrit sobre) tranquillement, souvent : avec une suite de syntagmes faits de mots simples, de mises à la ligne pour déverrouiller une certaine cadence et aussi : son vers de fin pour atomiser la compréhension dans l’émerveillement devant l’acte pur que l’on vient de se prendre en pleine gueule.
Qu’en est-il de Houellebecq. Et bien c’est la même chose. Ses romans (je ne parlerai pas de sa poésie) sont cadencés à un rythme classique, la forme est nue, les mots sont simples, les phrases claires. En gros ce qui intéresse Houellebecq c’est ce qu’il raconte et non pas comment il le raconte (ce qu’on a trouvé un peu chez Bukowski). Le bord canonique fait le texte et pourtant, comme chez Bukowski il se déroule au cours de la lecture une surimpression, un langage sur le langage (que Bukowski arrivait à réifier par l’amour) dont l’effet est immédiat de justesse. Il faut noter que les thèmes ne sont pas exactement les même mais la subversion (non langagière mais sociale) du texte, de la littérarité du texte est profondément marquée dans chacune des deux écritures ; Houellebecq décrira une scène de pédophilie avec un brin d’humour et Bukowski évoquera l’énième beuverie avec toutes les merdes qui s’ensuivent.
Je peux conclure en évoquant le fait que Bukowski comme Houellebecq, ne se préoccupe que très peu du signifiant, du mot, de la forme de la phrase ou du vers (avec des exceptions chez Bukowski comme son retour à la ligne et l’extrême pauvreté de son lexique) et qu’ils sont tous deux très résistants à la théorie littéraire ou la formalisation des textes comme Sollers ou Chistophe Tarkos.