La parole et la castration
Cette crainte de l’autre, cette parole morcelée, cette attention particulière de ma faiblesse voire impossibilité de penser et d’émettre avec l’autre ou contre l’autre quelque chose comme du sens, est présent lorsque je suis chez ma mère. Les gens me font peur. J’ai peur. Pourquoi ? Ma mère m’empêcherait-elle de parler ? De converser avec quelqu’un d’autre qu’elle ? Pourquoi cette douleur ? Merde, j’en ai marre d’avoir peur, d’avoir peur de me couper la parole moi-même. De ne pas prononcer les mots interdits. J’ai peur de la relation à l’autre. Je suis trop attentif à l’autre en son aspect menaçant. Quelque chose s’élève en moi tout en restant raide et bas, dans la boue du réel. Ce qui s’élève c’est la crainte d’être dans la boue. D’être de la boue, de la merde. De ne pas avoir droit au langage. D’être infirme à l’idiome. Je me bats contre des moulins, ça je le sais, et en même temps je sens que c’est nécessaire et implacable. Comme ce poème : Je suis vivant, ça je le sais/ Mais je suis mort, ça je le sens.
Il y a ce savoir de la mort perpétuellement remis au jour et cet aspect sensitif de la mort dans le mot sens, le sens. Je meurs dans le sens. Le poème pourrait se transformer. Je suis vivant ça je le sens / Mais je suis mort ça je le sais. Le savoir que j’accumule se disperse, se morcèle en éléments, contenants diffus et vides, j’agonise de savoir. Je me retrouve au pied du mur, le ventre serré, comme Socrate (qui lui était sage alors que moi je suis fou) à savoir que je ne sais rien. Cette base, ce non-savoir, ce néant, ce vide, ce rien. Ce Je n’ai envie de rien. M’occulte l’autre, ou le remplace. Lorsque je suis avec l’autre je suis seul avec ma psychose. L’autre est un contenant pour ma psychose. Il n’est rien en lui-même. Je lui attribue seulement des qualités intrinsèques à ma propre angoisse de vide, et donc de ridicule dont il sera le témoin. Il me coupera les couilles. En fait son reflet me coupera les couilles. Car je sais, qu’à un état limite je me ressaisis. Je ne suis pas assez fou pour ne pas prendre conscience que l’autre, à la fin, n’est pas un ennemi. Que tout cela est juste une projection inconsciente. Mais le psychotique, le morcelé ne sait pas faire corps, faire mur ou plutôt mur de squash dont la balle rebondit entre chacun, c’est-à-dire pas un mur de silence. Un mur de conscience pure, qui exclurait pour le temps de la conversation, de la relation sexuelle, l’informe pulsion psychotique qui scinde le temps de la parole entre le commencement d’un énoncé, sa coupure, et l’extrême angoisse que la coupure a représenté, représente dans la situation avec l’interlocuteur. La coupure. La castration peut-être. Je suis un castré de la parole. Et ceci à chaque rencontre intérieure avec un stimuli extérieur qui m’angoisse, à chaque prise de parole lors de l’échange avec quelqu’un, chaque intervention dans la discussion de groupe. Ce qui m’amène à dire que je suis seul. Entièrement seul. Et je le sais. Et je le sens. Le sens s’estompe. La vie s’arrête.