Mon gosse
Hasard de la naissance. Soit tu passes ton enfance sur l’île de la Cité, soit à Barbés. Soit entre les deux dans le 11ème ou 12ème. Tu peux commencer à Barbés et finir sur l’île de la Cité, l’inverse serait inquiétant. J’ai trop d’enfants qui me courent dans les pattes, je ne cicatrise pas la vie. Ils s’y engouffrent. Avec Mélanie on habite dans le 12ème et l’enfant, le mien, va lui dégager le ventre dans environs 6 mois. Je promets de lui donner une éducation sordide faite de poésie et de cadeaux qui feront dégouliner ma première tendresse. Je vais être père, et il me dégoûtera, je le sais. Par exemple en tétant le sein droit de Mélanie. Celui que je préfére.
Lorsqu’il aura l’âge où l’enfant n’est plus mignon mais passablement casse couilles (13-14 ans) je me tirerais et laisserais à Mélanie la garde. Je le prendrais un week-end sur deux. Y’aura une chambre pour lui à l’étage, je le laisserais jouer au jeu vidéo ou regarder du porno. De toute façon qu’est-ce que je pourrais bien y faire, en 2030 le mot jeunesse aura une connotation absconse, ils sauront tous les secrets de la sexualité (rien d’érotique jusqu’à la pénétration) et auront mille et une façon pour se divertir, désintégrés ils n’existeront plus qu’en un avatar religieux et informe, l’icône F de Facebook aura disparu à l’avantage d’un sigle d’une multinationale indienne et je lui conseillerai de choisir chinois première langue. Pour collaborer pendant l'occupation. Puis je me lasserais de lui, le laisserais à Mélanie le plus souvent possible, pour enfin me retrouver seul, vidé et serein.
À 40 ans il reviendra me voir. Me traitant d’égoïste. Je lui répondrais avec orgueil que je ne voulais pas d’enfant. J’aurais entre-temps été ruiné par le rachat de ma PME par les derniers consortium américain. À 70 ans je me pendrais dans un appartement à Barbès comme quoi on peut passer du 12ème à Barbés. Et ce reste de pays en voie de sous-développement que sera la France.
Mélanie sera morte, toutes mes femmes seront mortes, je n’aurais plus que ce gosse devenu adulte, imperméable et insensible à l’irrémédiabilité du suicide d’un père devenu étranger tellement il fut lui-même distant et méchant à l’égard de son fils.
(…)