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Journal

11 Décembre 2018

PROSE DÉCEMBRE 2018

 

J’ai maintenant un petit studio aux Lilas. Il y a deux pièces. À Paris je n’en aurait eu qu’une. Je m’y sens relativement bien, je commence à avoir du plaisir à l’habiter, à le connaître : la vitesse croissante à appuyer sur les interrupteurs, le bon moment pour la plaque chaude etc... J’écoute, le matin, très tôt la radio en lisant… Drieu La Rochelle toute cette semaine. Je me rendors et me réveille réellement vers 8h. Je bois du café, je fume sans m’arrêter pendant une bonne heure. J’aime bien, souvent, écouter du jazz sur les vidéos directs de Youtube. J’aime bien, voir le ciel gris de novembre. Je range, j’arrange l’appartement pour qu’il tienne, qu’il me tienne en équilibre. Je ne bois plus le matin, je m’arrange pour éviter à avoir à changer d’humeur le matin, résister à l’escalade du mur facilement franchissable d’une journée alcoolisée.

J’appelle ma mère ou mon père pour la raison inévitables et coriaces que d’avoir peur d’être seul.

J’ai peur qu’ils meurent désormais puisque je ne suis plus là, que j’ai choisi d’être ailleurs, certes je ne les soignais en rien mais pourtant leur décès me semblent… enfin je n’ose y penser

J’écris quelques poèmes sur le mac en buvant mon café, réfléchissant à mes rêves. Papa se ridiculisait dans celui de ce matin, maman l’aimait pour ça. Dans ma main je tiens la tasse de café.

Je joue à l’équilibriste sur le fauteuil rouge. Je me pose des questions inouïes, nouvelles, inquiétantes. Et cette hostilité qui se répand dans les deux pièces de l’appartement m’enfonce quelque peu de ne pouvoir aimer encore celle ou celui-là qui pourrait boire ce café avec moi les matins.

Mais je n’ai rien contre la solitude, elle me fortifie. Ce dont je manque est là où les idées se ressemblent souvent jour après jour autour d’un amour que je pourrais donner puis éprouver ce que je donne à un autre être.

Ce matin j’ai vu le soleil. Il brillait dans l’hiver. Croire encore que je suis un jeune homme, c’est trop tard, oui, beaucoup trop tard. J’ai perdu trop de temps à jouer avec mon cœur.

Papa connaît ma bibliophilie et se retrouve à devoir faire une bibliothèque de onze mètres pour que j’y mette tous mes livres.

Je note çà et là des idées de poèmes.

Voilà pour aujourd’hui.

 

Encore un mot : papa arrive pour finir la bibliothèque. Impatience d’y ranger mes livres, mes amis, mes frères.

 

 

Minuit

 

Une demande d’amie facebook vers minuit. Celle qui a la main atrophiée. Je l’ai rencontré dans un petit cocktail. Elle a 19 ans, elle est comédienne et handicapé. Parfait. Tout coïncide : je me sens mieux et la terre tourne du côté des mots, la Lune.

Je lui envoie ce poème 

 

 

 

« Y,

 

Je t’écris du plus profond de la nuit, tu es grande et donc, moi… je suis petit. Cette bassesse obscur. Ce n’est pas compliqué d’écrire. Il suffit d’y mettre chaque seconde de sa vie. Je viens de me réveiller, alors je t’écris. Comment pouvons-nous changer la vie, alors qu’on ne voit jamais que son dos et lorsqu’elle tourne la tête, comme nous mourrons de honte. Acte commis, pensée fluctuante, amours sanguins puis amours déçus… etc… De honte je te dis, comme si je ne t’avais pas adressé ce poème. J’en serais mort et encore bouffi et rouge à ma dernière heure.

 

Tu es jeune, je suis déjà vieux, l’écart du temps entre ton corps dansant et mon corps mou, visqueux. D’accord, c’est intangible. Mon corps a été plus longtemps que le tien à la surface de cette planète. Alors on fait quoi ? On se résigne ? Non. Il y a quelque chose d’inguérissable qui traverse chaque vie et n’empêche pas la joie ni l’amour.

Des mots inextricables. Dont se souviennent les ruines du ciel.

Qui font de ma vie des cérémonies pure – te laissant lire ce texte- .

Donne-moi tes mains j’en ferai des anfractuosités ; ton cœur ? Sous le poids de l’éternel il se pressera comme une orange.

Chaque poème est un songe sur lui-même, mais, constellé de prévisions, mon disque s’envole vers toi, ton corps abrupt, ta main brisée.

 

Je me rendors.

Je t’embrasse,

Antonin »

 

Il fallait que je démonte un peu la mécanique de la passion brusque, puis que je ressoude à sa petite main bizarre tout l’amour étranglé que je serais à même de lui donner. Fut-il bref. Et encore : déflagration est synonyme de santé chez l’homme assujetti à la dépression. Je ne me suis pas rendormi, j’ai bu un café et avancé dans le roman de Françoise Sagan, désormais j’écris pour me sentir protégé dans cette bulle, le lit, la cigarette, le fond sonore, et la Nuit, la grande Nuit qui laisse si bien et avec une si belle tranquillité aux insomniaques de se partager le monde. La couette est chaude et j’espère rapporter vite encore des livres de chez maman afin que la bibliothèque se remplissent. Quel bonheur. Quelle douceur ce sera.

            Dans le roman de Sagan, j’aime les tournures simples, si simples. J’aurais aimé la connaître cette femme. Elle ne m’a pas attendu. Je trouve ça injuste.

Une autre cigarette s’éteint. Il est déjà 3h42, je me réveille d’habitude vers 4h. Je vais aller dans le salon écouter France culture en me faisant à manger et… dominer mon impatience d’une éventuelle réponse, d’Y quelle qu’elle soit : un mot gentil au moins, une déclaration de dépendance au mieux.

 

7 Décembre

 

Ma mère va arriver vers dix-neuf heure. Je l’attends, impatient de fêter cette petite victoire avec la CAF du quatre-vingt-treize : j’aurais mon allocation vite.

            Je suis tombé amoureux d’une fille dégoulinante d’eau (il pleut le déluge), dans le métro. Elle m’avait indiquée le métro République et je l’ai suivie. Nous étions tous serrés dans la rame. Elle était à trois têtes de moi, nous étions en train d’arriver à Bastille. Je l’aimais par ce qu’elle m’avait indiqué la route à suivre dans le déluge. Elle avait vu que j’étais perdu. Il y a seulement maman qui m’indique les destinations à prendre ; bonnes ou mauvaises. Mais là ce n’était pas maman. C’était elle.

Je l’ai vu sortir.

            Je la suivît. Elle se retourna, je baissais les yeux.

            Elle rentra dans une galerie de merde, je la connaissais pour avoir essayé vainement à plusieurs vernissages d’écrire sur les œuvres et le défaitisme qui s’ensuivait m’avait dégouté.

            Dans la galerie elle me regarda et soudain vint vers moi. « Excuse-moi, mais tu me suis ou quoi ?, dit-elle » et moi de répondre cette phrase et ce silence assourdissant qui s’ensuit « Non, enfin oui. Enfin je crois que j’aime ce que tu marches ». Le silence venait du fait de l’extrême gêne que j’avais eu à répondre à ses mots. Et surtout le problème de syntaxe.

            Le problème de syntaxe…

            Finalement, elle sourit et j’étais heureux. Et le problème de syntaxe s’est évanouit.

 

 

           

 

 

           

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