Journal
Jeudi 20 décembre
J’ai jeté le cahier de rage. Je ne comprenais rien. Et je l’ai jeté. Je n’aime décidément pas ce Monsieur Teste. Mais il reste du café, tout va bien. La nuit est là. Prête à se couvrir de son manteau de soleil matinal. Je pense à mon petit frère tout d’un coup. Et moi je bois, je bois. Du café, pas du vin, ç’aurait été trop con d’être venu en Bretagne pour boire. Cela fait deux jours maintenant, mis à part ce cidre à deux degré je n’ai rien bu. C’est peut-être pour ça que Monsieur Teste m’a dégouté. Normalement je lis la poésie ivre.
D’ailleurs, habituellement je lis de la poésie avec un verre de vin ou une cannette de bière à côté de moi. Ici, à la pointe du Raz, j’en profite pour les lectures plus théoriques. La mer, le songe immense de la mer, mon esprit, moi, la science, la vie, le sens, la lutte entre le jour se vidant de sa lumière et la nuit emplissant à chaque réveil mes poumons de clarté, le procès entre mon cœur du matin remplit de sang bouillant et mon cœur du soir vidé de sa substance, harassé de lecture et d’iode. Je ris, tout à l’heure j’ai ri, je ne sais plus pourquoi. Une pensée. Le chien qui est au milieu des brebis, asphyxié, et qui aurait menti sur son diplôme de chien de berger. L’image m’a été montrée par maman, nous avons eu un fou-rire.
Je vais refaire du café, j’écris ces lignes mollement, sans contradiction, à la vitesse de croisière, mot après mot, phrase après phrase. Et ce Monsieur Teste. J’avais oublié à quel point je haïssais Valéry. Ce n’est pas que j’en ressens de la culpabilité, mais quand même, Paul Valéry est enterré dans le cimetière marin à quelques mètres seulement de la mère de Diego.
Diego n’a jamais montré de signe de mélancolie depuis ces deux ans. Je pleure ici et maintenant. Une voiture passe, il fait nuit. Il est sept heures trente.
L’été dernier nous sommes allés Diego, moi, France et papa au cimetière marin de Sète. Pile un an après le décès de Marie. Nous approchions et la gravité d’un tel lieu rendait la mer incolore, le vent sourd. Les morts ont cette force-là, d’appesantir l’air, le rendre lourd. Le caveau de la famille Guirauden se dressait devant nous, avec d’autres fantômes
D’ailleurs bien plus lorsqu’elle est au bord de l’océan, de rangées en rangées, de vagues en vagues et ces filets d’une mer d’errance. L’âme, indiscernable, mais l’âme quand même, indubitable : le poisson recueilli par le pêcheur et le dieu. L’âme discrète au milieu des autres.
En arrivant devant le caveau, l’orgueil de Diego que je connais bien, sa résilience que j’ai toujours remarqué avec une certaine fascination devant les drames, de mes yeux de grand frère plus fragile peut-être, dît « Je trouve ça abstrait » devant le caveau, avec nous à côté. Il n’y a rien de plus abstrait qu’une stèle. Faut-il croire qu’un Dieu y a enclos, en bon berger, ses brebis égarés par les accidents, les maladies, les guerres, les loups ? ou qu’il n’y a rien que l’inertie de la matière ?
Doucement France, papa et moi nous sommes éloignés vers l’allée principale. D’un accord tacite et pourtant nullement formulé. Diego est resté là. Devant sa mère. Et au loin je l’ai vu enfin pleurer. La peine était immense. Je me souviens de la vague d’émotion qui m’a emporté en moi-même, dans mes entrailles. Je pleurais.
Mon petit-frère de 8 ans mon cadet pleurait sa mère défunte. Je le regardais à 20 mètres et une impression étrange me faisait me reconnaître en lui, pleurant en même temps, pour lui. J’étais avec lui et contre lui, j’y reconnaissais la tendresse et l’amour que je lui portais, j’étais son frère et son fantôme.
L’énigme qu’est Diego, le malheur d’avoir enduré une telle absurdité, une conclusion sans fin, et la vision que j’avais de mon frère là à quelques mètres, pleurant sa mère décédée alors qu’il n’était encore qu’un enfant, me coinçais la gorge. Je pleurais. Je pleurais à sa place, j’étais lui à ce moment-là. Il pleurait. Ce n’est pas grave, c’est le cosmos, c’est l’univers et les dieux qui pleurent aussi lorsqu’un enfant de 17 ans pleure devant la stèle de sa mère morte trop tôt. Ce fut ma belle-mère. Qui a existé. Qui existe. Qui ne fait qu’exister. Frontalement, forcément : Marie n’est pas morte. Il n’existe pas de néant, il n’existe que les émotions que nous portons aux vivants, aux morts. Marie se déverse en fracas contre les rochers de la mer Méditerranée, dans la beauté de l’altitude qu’on les goélands de se battre de l’air, nous dessinions encore son âme, ici, à côté de la tombe de Paul Valéry, dans l’air iodé de Sète.
Je ne l’oublierai jamais.
Il est dix heures, il est temps d’arrêter d’écrire.
21 décembre
À tout compter il y a deux petite faiblesses en matière de musique que je dissimule : la techno des années deux mille et la pop américaine (de très mauvaise facture, il faut le noter). Par exemple, il est 4h12 et j’écoute à fond les ballons Basshunter dans sa chanson DotA et Carlye Jepsen, Call Me Maybe. Faut-il que j’en ai honte ? Je suis innocent je le jure ou je suis le Faust de la musique de merde. Mes pouvoirs sont notoires. J’écris sur ce genre de musique. En fond, comme ça, et ça rentre comme l’air dans mes poumons et ça sort en lettres sur l’ordinateur.
Je me figure avec inquiétude la journée qui va se dérouler. Je n’ai dormi que 5 heures et je suis à ma 5ème tasse de café. Je ne veux pas me rendormir Je veux travailler. Je suis dans la cuisine. Je fume par intervalle d’un quart d’heure dans le salon. Tout est calme. La nuit est noire et mes idées lumineuses. Je travaille en mangeant une flammekusche et attends désormais avec impatience le réveil de maman pour m’arrêter d’écrire ce journal auquel je me suis astreins d’y marquer jour après jour pendant cette dizaine à la pointe du Raz ce qui me passait par la tête. Le plus précieux et le différent, comme l’immense de la mer à l’immense de Pennequin, comme la dissension du monde pollué de Paris à l’air de la Bretagne, qui assainit les poumons.
Pourtant j’en suis bien heureux d’avoir mon lieu à Paris. Mon petit studio. Lieu d’accueil mais aussi d’ennui et il n’y a rien de mieux que l’ennui pour l’intelligence. Ça fortifie les fondations sur lesquelles reposent le corps, les pensées et les jouissances.
Il est 6h
Marine ne m’a pas répondu hier. Je suis triste d’avoir vu cette fille me passer entre les doigts. Je croyais lui plaire. Mais la jeunesse. Mais l’indécision lorsqu’on a vingt ans. Je la croyais amoureuse. J’étais fou. Je n’ai pas eu le nez, je me suis confondu, perdu en elle. Elle m’a rejeté. Elle a préféré me laisser coi. Moi qui croyais que c’était tout fait, emballer, plier et hop dans le cœur et le ventre. Je croyais qu’un jour je lui ferais l’amour. Que j’allais avec elle écrire des poèmes enflammées dès le réveil. Non. C’était un faux combat que je pensais gagner sans remporter aucun prix sinon la médaille, un pendentif que je lui aurais enlevé avant que nous nous couchions
Je suis fatigué du roucoulement incessant de mon gosier dont le bruit ne parvient à aucune ouïe féminine. Alors j’écris. C’est un peu faire l’amour. J’ai écrit un poème là-dessus il y a quelques années ça commençait comme ça : écrire un poème c’est comme faire l’amour, un peu, un tout petit peu. Avec la tasse. Le carnet. Le stylo Pilot et ma poésie que je déteste… et pourtant à qui je fais l’amour. C’est cela faire l’amour, foncer dans l’espace que la fille occupe pour concrètement lui faire l’amour et ressortir de ce cercle de feu confondu d’une délicatesse et une douceur plus abstraite, faite de braises. Comme foncer dans l’espace du poème, utiliser la condensation d’énergie et faire exploser de feu la page blanche, et la laisser, cramoisie quelques jours, avant d’y revenir.
Cela fait plus d’un mois que je n’ai pas fait l’amour. Que je n’ai pas écrit de poèmes.
Il manque des cigarettes industrielles. Qu’elles sont belles. Plus elles deviennent chères plus elles deviennent luxueuses et savoureuses. J’adore m’en acheter. Mon petit job à France Bleu me rapporte rien. Je n’ai aucun plan de carrière. Je veux juste pénétrer le cercle de flamme de la fille et oublier. Oublier mes clopes industrielles, oublier d’écrire le matin, oublier le froid. Je fais grâce de mes autres pleurnicheries.
Je baisse les yeux, je vois le lino, faux parquet breton. J’ignore s’il sait qu’il est laid. Il est 7h55 réveillé depuis 3h30, travaillant comme un acharné sur la linguistique qui, j’en suis certain, m’emmènera, plus sûr, vers les autres, ceux qui me font peur et qui me font bégayer comme un enfant, et non comme un homme qui se connaît et agit en fonction de sa connaissance et non en fonction de ses sens. Au café, ou dans un dîner avec des amis. C’est ma petite perversion. Je ne le dis pas. À personne. En revanche je l’écris.
Samedi 22 décembre
Le bruit de la chasse d’eau. Le livre de Jakobson, mon rhume qui commence. Plus de force, de trace tangible de l’accident. Qu’est ce qui a pu se passer ? Le voleur m’a détroussé ce matin. Il y a du café, des cendres, un briquet. Une lueur, je sais, je comprends.
Le jour se lève, je suis fatigué. Je fume. Je bois du café. J’essaye de reconnaître un peu plus. Les anfractuosités, les crevasses, les délires. Je songe comme un animal sans langage à ma poésie. Est-elle certaine ? je veux dire ne tient-elle pas comme un bateau pneumatique, dont le souffle intérieur, inadéquat, marqué, trop chargé en vogue sur l’immense vide que représente la mer. Mon immense vide. Je sais. Je me retourne, personne. Je regarde droit devant moi, un mur. En l’air, un plafond enguirlandé. Le mal de ne pouvoir travailler. Le mal de mer. La poésie fait mal ; elle pique les doigts. Je sais. Je me plains et c’est pourtant inutile. J’écris un poème à l’intention toute particulière de ma mère pour Noël qui arrive dans trois jours. Rien. Rien de vrai ne sort. Que du vivant. Je n’en peux plus, je veux crever sous un bouquin de Kristeva sur la linguistique – « La révolution poétique, Lautréamont et Mallarmé » - m’essouffler jusqu’au bout de la langue. Ne plus avoir de salive, seulement la sécheresse de la logique modale utilisée par les professionnels en affaire de business linguistique.
Je suis neurasthénique. Je le vois. Je ne bouge pas. Je ne remue pas la queue. Immondice et laideur : cette bête à deux tête du regret et du désir, voir la mer. Non. Pennequin, oui. Nous fêterons Noël ensemble avec Camille, Pennequin, maman et moi.
Je me demande ce qu’il va m’offrir comme cadeau. Il m’impressionne, j’espère ne pas rester figé en statue devant lui, un des plus importants poètes du début de ce siècle.
23 décembre
J’ai eu des frissons dans le corps. Il ne s’allumait plus. Je ne pouvais plus travailler. Un nuage est passé, Il s’est allumé ; Je peux retravailler sur l’ordinateur. Hier j’ai vu Pennequin, discussion autour de la performance – Mais c’est quoi la différence pour toi entre une performance et une lecture ? – Je ne me souviens plus de la réponse exacte mais selon lui l’imprévision et l’improvisation jouaient un grand rôle.
J’ai pris du stilnox pour dormir.
26 Décembre
8h.
Il faut travailler. Il faut relire. Relier les pensées avec d’autres pensées. Penser le Christ et sa parole. Penser Kristeva et son initiation à la linguistique. Je me penche, du rouge orangée qui vire au rose au loin par la fenêtre. Je vais aller voir la mer dans quelques minutes, après avoir écrit quelques lignes.
Pennequin m’a offert hier, pour Noël un livre sur Péguy qu’il a écrit avec un autre cadeau, de Camille, c’est beau marque page où figurent des cellules, des trous noirs et du rouge hémoglobine, un corps, une kinésticule l’appelle-t-elle. Elle est la femme de Pennequin depuis un an, elle m’a connu lorsque j’avais 12 ans et elle, mon âge à présent, 27. J’étais heureux comme tout. Et là, maintenant, le bonheur et son exemplification par un doux réveil breton qui ne se soucie ni des cauchemars parisiens, ni de l’alcool au petit matin. Ne se préoccupant que de l’anniversaire de toutes choses qui me viennent à l’esprit, fêtes brûlantes, chantantes des nouveaux mots, des nouvelles phrases, de nouvelles langues, de nouveaux dieux.
Mais pour tout dire je n’ai pas vraiment envie d’écrire. Mais je le fais. J’écris quand même. Pourquoi ? Je veux que ça vienne. Comme dit Deleuze de Péguy. Je veux que mes phrases sortent par le milieu. Et qu’au départ il n’y ait qu’une simple personne et à la fin une multitude de gens, de mots ; car le milieu, c’est là où tout se produit. Désormais je veux écrire. Pénétrer la fente minuscule qui se situe à rebours des sens, et si, avec précision, on l’investi découvrir que le sens n’est qu’un interminable aller-retour entre les mots, quel que soit leur construction syntaxique. Il est 9h. Le milieu, oui. Le milieu d’une phrase comme le milieu de tout. Tout est toujours au milieu de tout. Et la tasse de café pense-t-elle peut-être n’être qu’une simple tasse de café en périphérie de ma main. Ouh la, non ! C’est un objet beau comme Dieu, se vidant par petites gorgées au-dedans de ma bouche, comme on entend l’église sonner 9h au-dedans de l’oreille. Cette tasse est une relique comme toute chose.
Je me suis inquiété pour sa santé. Lorsque j’écris je pense souvent à elle. Même si elle n’aime pas vraiment ce que j’écris. Je le sais. Une fois dans une engueulade il a été question de ma prétention à être poète, à produire de la poésie, à dévoiler de mes mains de l’art. Elle l’a nié.
Ça m’a blessé.
Je ne veux pas écrire et pourtant « il était une fois » vient au bout de mes doigts.
Il était une fois un fragile secret,
Il était une fois ce secret qui hante,
Il était une fois la poésie.
Il était une fois tout ça en même temps. Il était une fois, raconter des histoires.
Je ne sais pas raconter d’histoire. Je ne sais même pas si je sais écrire des poèmes. Je le sens juste. Juste une sensation de parler à l’intérieur d’un tout plus gros, et cette perception de s’y envelopper comme le cosmos enveloppe d’autres cosmos.
Ça y est. Il fait jour. Je songe à un Dieu. Au miroir qui fait défaut dans cette maison. À la justesse entre la rareté du jour en hiver et ce que j’aime tant : manger les restes de la nuit en écrivant. Aux anniversaires que facebook me rappelle sur mon portable dans un sale petit bruit électronique. J’arrive les amis. « L’anniversaire est un jalon, et le jalon renvoie à la constance, à la récurrence et à la réalisation de quelque exigeante symétrie à la racine de toute chose ».
Je me représente le mien d’anniversaire, ni symétrie, ni racine mais surtout de l’occurrence. Ils filent depuis 8 ans sans que je le réalise vraiment, sans que je les décèle comme des étape de ma vie. Et ça fait mal.
Au ventre surtout, comme un nœud coulant ; et les anniversaires de tirer toujours un peu plus les cordes emmêlées. M’inquiétant au fur et à mesure qu’ils se réalisent dans l’usure du corps, et la viscosité de l’esprit, la fermeté, l’assurance, l’effroi d’avoir manqué quelque chose ou quelqu’un.
Je ne devine le monde que par de faibles indices, être attentif et douter de tout. C’est cela écrire. Que mon père et ma mère mourront un jour. Voir l’horizon et percevoir que la terre est ronde. Se rendre compte que les goélands appartiennent à Baudelaire et qu’il nécessitera l’épaisseur d’une feuille de papier pour accorder au poème un autre poème, de l’autre côté de la feuille, intriqués comme le jour à la nuit. J’allume la cafetière, il est temps d’aller voir la mer.
Mercredi 26 décembre 19h42 – ivre – pastiche Pennequin
Je ne lui plais pas. Il en faut plus. Pas un plus de vérité, de beauté, de Bien. Il en faudrait plus de tout mon corps. Qu’il aille en avant là où elle ne va pas. Tellement elle y va. Je veux dire : il lui faudrait un corps exsangue de douleur pour me lire. Des viscères à même le sol, du sang, de la souffrance pure et dure. Là elle me lirait. Là elle voudrait bien me comprendre. Elle ne veut que du surplus. Pas de parlé rentré en soi. Pas de langage qui s’ignore. Elle veut de la parole de mourant venant de sa propre chair, de la chair de christ. Elle se retrouve dans la couleur de son sang, de son placenta. Là y’a de l’amour, des pleurs de joie, de l’écoute à chaque note du cri infini d’un enfant anonyme qui a notoirement la même ADN qu’elle. Et lorsque je lui en donne elle jouit. Ma mère est une salope. Elle ne jouit qu’en me voyant mourir. Comme ça elle peut me sauver. C’est ça son génie. Comme ça le chant atteint son oreille interne. Tout ce qui est extérieur, tout ce que je gesticule, tout ce que je fais dans la rue, dans la boue elle n’en veut pas. Elle s’en bat les couilles. Elle veut de la matière à câliner, propre à être enfourné dans le berceau, elle veut de l’origine, de l’original alors que je fais de la matière verbale codé par un langage que qu’elle ne veut pas connaître ; que je me suis construit quand même, malgré ça, malgré le ciseau, le sécateur. Elle veut du sanguinolent qui lui rappelle les larmes de sang de mon grand-père. Elle reverrait son père. Elle m’aimerait et ce serait la déroute. Elle m’adulerait et enfin ça serait la vrai césure. Je serais Bernard Cuau. Je serais avocat, scénariste, maître de conf’, dramaturge, réalisateur. Et là ça serait le mal, le cœur chaud de douleur. L’amour, la retrouvaille ultime. Seulement moi je ne veux pas être lui. Je veux être le gamin, le bambino. Pas l’intellectuel, pas le père, pas l’amoureux. Ma mère est une prostituée de la littérature, du cinéma, des hommes qu’elle rencontre. Elle vend l’égal à l’inégal. Elle voit tout ce qui n’est pas elle ou tout ce qui ne lui ressemble pas, ce qui ne souffre pas, comme de la grosse merde. Maiwenn c’est de la grosse merde, elle n’a pas eu comme ami Bresson, Kassovitz c’est de la belle grosse merde il n’a pas connu Rivette, il n’a même pas osé écrire avec lui vous vous rendez compte ?
Sauf que ma mère c’est qu’elle s’emmêle avec son origine et avec le présent. Elle ne sait pas faire la différence d’un enfant et d’un adulte. Moi je suis un enfant ou un adulte, c’est suivant le programme de son agenda. C’est la même chose pour elle. C’est de la littérature, c’est du cinéma. Un enfant prodigieux sauf lorsqu’il veut un changer, avoir une contraction, un aller-simple pour l’outre-là. Un bébé qui sort alors qu’il est en Bretagne avec elle et qu’elle paye le gîte la maison, l’église, la salle de témoin de Jéovah. Et moi j’en crève puisque je continue. Je ne pleure pas. Je veux continuer là-dedans. Je veux que ça me pousse alors que ça castre, ça découpe tout en petit morceaux bien définis. C’est ça le problème, c’est ça tout le conflit. C’est le parler qui n’est ni enfant, ni adulte, ni fils, ni père, ni génie. Ma mère elle s’y retrouve que lorsque ça sanguinole. Et moi je veux juste me la couper. La couper dure. Pas ma queue. Pas ma bite. Ma demande. Ma sauvage. Ma désirante. Mon irréalisable pluriel dont elle savourerait que le bien matriciel, harmonieux, où elle se retirerait au bon moment. Où elle ne rencontrerait pas son fils avec toutes ses déterminations dramatiques mais un poète comme un autre. Avec ses merdes et ses muscles et ses anfractuosités à lui, ses plages, ses Lunes en orbite, ses seins, son transsexualisme, son extase, son fourneau à grand-père. Faire de ma vie une cérémonie sans elle. Une cérémonie bien trop pure. Bien trop belle. Sans le placenta d’où j’suis sorti. Sans le trou. Sans la vibration qui opère par une radicalité absurde de l’amour inadéquat que me porte ma mère lorsqu’elle me déteste écrivant. Je ne peux pas écrire sauf. Il faut en crever. Il faut remplir la chambre ou la voiture de délires. De cris. De tout ce qui la fait mère. Pas humaine. Mais mère. Tout ce qui va bien lorsque je suis à l’hôpital. Lorsque je suis le détérioré, le sans-répit. La glace dans le ventre et la parole froide qui sort de la bouche. Elle aime cette froideur. Ce surplus d’enfance. Cet interminable. Ce fameux disque constellé de prévisions de Celan qui se jette hors de lui-même tellement qu’il est saturé par sa propre norme, sa propre mère qui ne veut rien que consoler des entorses, des entourloupes auxquelles elle participe. Je n’en veux pas à ma mère. Je comprends ses défis singuliers avec ce que je fais participer à sa langue. J’en veux juste à ma mère effrayée de me voir un jour me noyer dans la rivière où le saumon du sens remontera la rivière ; elle, vieille, moi vieux. Et toujours aussi mécontent de notre existence l’un et l’autre, l’un pour l'autre.